« Je ne vous présenterai pas la poésie de Saint-John Perse en critique littéraire, je vous en parlerai comme d’un processus révélateur plastique, le fil conducteur d’une « avancée à vivre ». D’une œuvre en devenir.
Par la couleur vibrante ou l’épaisseur du trait, marquer la densité de la phrase ou évoquer la fraicheur des mots persiens : être libre sans déborder, entre le pas assez et le trop. Le rendu plastique met longtemps à se stabiliser. La phrase dans mon oreille interne trépigne, tente de vivre dans une durée tremblée, aussi fragile que le frémissement du feuillage ou que l’ombre portée. Ce sont des zones de vagabondage à traverser, où n’entre pas le calcul. Revenir à l’origine de la phrase, du mot, toucher la substance obscure de la tension jusque dans l’épaisseur brute de la matrice, celle-là même qui leur donna jour. Oui, accompagner le mouvement de cette masse sensible, dans la couleur ou le trait, l’étirer, le dilater, et le réduire.
C’est, par le rythme vital, pénétrer tactilement l’acte poétique. Telle une effraction lumineuse, pénétrer la chair et donner encore de l’éclat à la sensation primitive. Face à la toile, ce sont des lignes de force centripètes, centrifuges de l’énergie vitale, entre violence et retenue, qui nous obligent.
Que ce soit une chaise, une silhouette ou un pot : l’art y marque ses tensions vitales – ou la finesse de l’esthétique. Ce ne sont pas de simples objets prosaïques mais une réalité abstraite qui gagne en force d’existence. Le monde poétique présente son style.
Parmi de nombreuses illustrations, « Pour fêter une Enfance » se raconte par une simple posture enfantine prise sur le vif. « Amers » représente une silhouette féminine vue de dos. « Amitié du prince », un accueil… alors un intérieur fait de table et de chaise y suffit.
Lorsque la phrase est satisfaite, signe que sa forme est accomplie, elle se dépose et c’est alors une joie immense pour le peintre.